Le Soir

Le 18 janvier 2017 dans l'article "Les nouveaux bouchers, ces "hérauts" de la bonne bidoche" du journal Le Soir.

Une poignée de jeunes bouchers veut redorer le blason du métier. En Flandre, le mouvement est emmené par Hendrik Dierendonck, qui ouvre son premier magasin à Bruxelles. Mais les choses bougent en Wallonie aussi.

 Les salaisons – jambons, saucissons et autres pièces de lard – sont déjà accrochées au plafond. Les rangs de côtes de bœuf s’alignent parfaitement derrière la large vitrine du frigo de maturation. Deux jours avant l’ouverture de son nouveau magasin dans le centre-ville de Bruxelles (qui aura lieu ce jeudi 19 janvier), Hendrik Dierendonck veille aux derniers détails. Avec sa femme, il a loué un appartement dans la capitale pour pouvoir être sur place 24 heures sur 24, y compris pendant les premières semaines qui suivront l’inauguration. Boucher-star au nord du pays, l’homme âgé de 42 ans est devenu le porte-flambeau d’une nouvelle génération d’artisans de la viande. Initié à Londres, New York ou Paris, le mouvement s’est vu affublé de du qualificatif de « neo-butchers ». Une étiquette qu’Hendrik Dierendonck accepte, mais qu’il relativise. « Ce n’est pas nouveau, insiste-t-il. Je suis né avec cette manière de faire la boucherie : choisir des bêtes de qualité, bien nourries, découper la viande, la maturer, faire soi-même les charcuteries, les produits traiteur… Quand j’avais 14 ans, après avoir passé une après-midi à faire du skate, mon père déposait un tas d’os sur la table et me demandait de les nettoyer. Sur le moment, c’était difficile. Mais cela m’a appris le respect de l’animal et du métier. Si tu es fier de ton métier, tu ne peux pas travailler autrement que comme ça ».

Ce métier, Hendrik Dierendonck l’a donc appris avec son père, dans la boucherie familiale de Saint-Idesbald, qu’il a reprise en 2001. C’est aussi avec son père, également éleveur, qu’il a mené le combat pour la réhabilitation de la Rouge des Flandres, une race de vache élevée à la fois pour son lait et sa viande, largement oubliée des bouchers, et à laquelle Hendrik Dierendonck a contribué à redonner ses lettres de noblesse. Une initiative bien dans l’esprit des « néobouchers », qui ont redonné un coup de projecteur dans leurs étals sur des races de bœuf (Aubrac, Parthenaise, Rubia Gallega…) ou de porc (Duroc, Duke of Berkshire, Mangalica) longtemps réduites à la portion congrue au profit des « bulldozers » charolais, Blanc-Bleu-belge ou Pietrain chez nous. « Il faut travailler dans le respect de l’animal et pour l’éleveur, insiste Hendrik Dierendonck. Moi je ne suis qu’un maillon de la chaîne entre lui et le client. Je suis là pour faire passer une histoire, expliquer au client d’où vient la viande, pourquoi il doit essayer un morceau de paleron – et pas toujours du filet pur –, comment le cuisiner… » Une doctrine « nose tot tail » (« du museau à la queue ») : les bêtes sont achetées entières, découpées et tous les morceaux sont valorisés et vendus. Pour Hendrik Dierendonck, le boucher doit être « le sommelier de la viande ». « Les similitudes avec le monde du vin sont nombreuses, insiste-t-il. On peut comparer les races aux variétés de raisin, la quantité de graisse au degré d’alcool, il y a l’importance du terroir, du climat – une vache qui vit dix mois par an dehors est différente d’une vache élevée en étable –, le vieillissement… »

« Slow food »

Une approche très « slow food » qui paye. En 2011, le boucher a pu ouvrir un deuxième magasin à Nieuport, puis, en 2015, un restaurant (« Carcasse ») à côté du magasin de Saint-Idesbald et un atelier de transformation à Furnes. Sa viande est également très demandée par les restaurateurs du pays, étoilés ou non. Aujourd’hui, l’enseigne occupe 50 personnes. Une croissance qu’Hendrik Dierendonck veut néanmoins garder sous contrôle. « Bien sûr, j’ai un certain succès, et j’aurais déjà pu ouvrir dix magasins, assure-t-il. Vendre, ce n’est pas difficile. Mais trouver et garantir la qualité, c’est autre chose. Il faut que les éleveurs suivent ».

Mais une manière de travailler qui se paye, aussi. La note pour les côtes à l’os maturées s’envole rapidement au-delà des 50 euros le kilo. « Je ne vais pas dire qu’on n’est pas cher, reconnaît Hendrik Dierendonck. Bien sûr, je vends du boeuf wagyu à 180 euros. Mais il n’y a pas que la viande maturée. Je vends aussi de la saucisse à 10 ou 12 euros, ce qui est tout à fait accessible ». Un prix qui, en toutes circonstances, est justifié, assure le boucher de Saint-Idesbald. « Une Rouge vit six à sept ans avant d’être abatture, elle a trois veaux, elle est engraissée pendant neuf à dix mois, explique-t-il. C’est plus de travail et de finesse pour la découper, plus de déchets, moins de rendement. Mais il y a du caractère dans la viande et pas de l’eau qui coule à la cuisson. Il faut manger moins, mais manger mieux. Je compare ça à un bon pain de campagne : avec deux tartines, tu as assez ! ». Surtout, Hendrik Dierendonck fustige certaines enseignes de la grande distribution. « En fait, c’est la mauvaise viande qui n’est pas assez chère, dit-il. Ce sont les supermarchés qui ont poussé les éleveurs à baisser leur prix, jusqu’à en faire des esclaves. Beaucoup de gens m’ont dit : «Pourquoi tu fais tout toi-même ? Achète tout fait, et tu gagneras plus d’argent !» Mais je ne veux pas participer à la production de masse ».

Une vision qui n’est pas toujours comprise. « Quand j’ai changé mon magasin à Saint-Idesbald, l’entrepreneur m’a suggéré de mettre le rayon traiteur en vitrine et la viande dans un petit coin de l’étal, se rappelle-t-il encore. J’ai dit non : la viande devant ! Je suis un artisan-boucher, je veux de la transparence. Et je connais beaucoup de jeunes bouchers qui ont la même philosophie que moi ». Une philosophie qu’il ne faut pour autant pas réduire à de simples techniques, la maturation étant la plus emblématique de celles-ci. Et la plus imitée : rares sont aujourd’hui les supermarchés qui n’ont pas leur vitrine de viandes maturées. Effet de mode ? Pas de quoi effrayer Hendrik Dierendonck, en tout cas. « Le modèle est facile à copier, mais pas ma passion », conclut-il.

A Péruwelz ou à Verviers, les «néobouchers» wallons misent sur la qualité

Par Bernard Padoan

Le métier de boucher n’a plus la cote dans notre pays. En tout cas quand il faut l’exercer comme indépendant. Selon les derniers chiffres du SPF Economie, notre pays comptait 3.645 commerces de détail de viande et de gibier fin 2015. C’est 10 % de bouchers de village ou de quartier de moins qu’en 2010. En Wallonie, la chute est même de 18 % ! Les raisons sont connues. Bien que repris depuis des années sur la liste des métiers en pénurie, la filière reste a priori peu valorisante pour les plus jeunes, qui y aboutissent plus souvent par défaut que par choix. Et pour nombre de ceux qui en sortent diplômés, le « confort » (horaires, salaire, protection sociale…) d’un emploi dans les grandes boucheries industrielles ou les chaînes de supermarchés (qui embauchent à tour de bras) est préféré aux servitudes d’une vie de commerçant indépendant.

Pourtant la résistance s’organise. A Péruwelz, Thierry Depuydt a repris la boucherie familiale il y a 12 ans, qu’il a rebaptisée « Côte à l’os » en 2013. Un changement de nom qui s’est accompagné d’une rupture. « Un coup de poker », explique-t-il. Lui aussi inspiré par les « néobouchers » français ou britanniques, ne veut plus des interminables vitrines de produits traiteur achetés chez des grossistes, ni de la viande de moindre qualité que le consommateur trouvera de toute façon moins cher dans les rayons des grandes surfaces. « Je voulais moi aussi recréer le lien entre l’éleveur et le client qui a été tué par la barquette », précise Thierry Depuydt. Il parcourt la région à la recherche d’éleveurs partageant sa vision. « C’est très difficile de trouver des éleveurs qui travaillent comme je le souhaite : faire des bêtes plus âgées, sans OGM, sans maïs ni soja, sans ensilage, nourries avec un maximum d’herbe, transportée et abattues une à la fois, reconnaît-il. Le métier, c’est un tiers du temps sur les routes pour trouver les meilleures viandes, un tiers dans l’atelier et un tiers de vente ».

Mais le coup de poker est réussi. « Aujourd’hui, ce sont les éleveurs qui me contactent : ils cherchent des débouchés pour leur viande, ils savent qu’ils en auront un prix rémunérateur, ajoute Thierry Depuydt. Ceux avec qui je travaille ne me sélectionnent que leurs meilleures bêtes. Il y a une relation de confiance. On a instauré un cercle vertueux ». Et s’il a perdu une partie de la clientèle de son village, Thierry Depuydt a agrandi sa zone de chalandise. « J’ai des clients qui viennent de Mons, Tournai, Ath… », détaille-t-il.

Cette relation de confiance, elle tient aussi beaucoup à cœur à Charly Goeders, boucher à Verviers. « Les clients veulent du choix, de l’artisanal, de la qualité avant tout, et trouver chez moi des produits qu’on ne trouve pas dans les supermarchés », constate-t-il. La démarche est la même que ses collègues « néo ». « Je fais les charcuteries moi-même, je découpe la viande, j’ai engagé un chef pour cuisiner sur place les plats préparés », énumère-t-il. Et comme Hendrik Dierendonck, Charly Goeders s’est investi, en partenariat avec Benoît Darimont, éleveur à Jalhay, dans le sauvetage d’une race locale oubliée : la pie rouge de l’Est. « Les gens sont sensibles à l’origine locale des produits », note-t-il, réaffirmant une fois encore l’importance « de la différenciation par le goût. De plus en plus de clients sont prêts à payer pour cela ».

Retrouvez l'article dans votre journal du Soir du 18/01/17 ou sur leur site internet.

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